Less is tellement more

L'art de ne rien faire

Allo, qui est à l'autre bout?

Less is tellement more… J’aimerais arriver à traduire ce qui se passe dans le massage tantrique. Quand plus aucune posture n’est nécessaire. Parce que les énergies sont alignées. Qu’on n’est pas en situation d’appeler, de montrer, de démontrer, d’inviter….  Parce que tout se fait tout seul. Le mouvement qui s’invite ou le non-mouvement qui est assumé. La danse lente du corps qui s’inscrit dans l’éther. Un silence qui sature de vide l’espace, l’envie de vivre son corps dans la joie, et sa vie à découvrir… dans le calme et non la projection, la réponse à, l’envie de faire plaisir… C’est un long chemin que d’en arriver là. Des deux côtés. Masseur et massé.e.

Au départ, c’est une phase test. L’un ne connait pas l’autre. Il faut apprendre à se connaitre. Se faire confiance. Accepter de poser ses défenses, boucliers, accepter de baisser son pont levis, accepter d’arrêter de guetter à travers les machicoulis ce qui peut advenir sur la route qui serpente devant soi. Accepter d’arrêter de faire quoi que ce soit, pour se mettre à l’écoute. De soi. Simplement écouter. S’écouter. Les séances suivantes prennent ce relais dans ce qui est tout sauf une course : Que nous dit notre corps quand on prend ce temps de l’écoute? Que nous dit ce corps que nous ne prenons jamais la peine d’écouter. A quoi nous renvoie-t-il quand nous nous branchons, non sur un téléphone rouge ou rose, mais sur une simple ligne téléphonique, neutre et banalisée : oui, allo, qui est à l’autre bout ?

Human being

Se poser l’un en face de l’autre, en se positionnant comme simple être humain. Human being…  Je me suis demandé comment traduire cette expression? Human being, que j’ai toujours entendue sur un mode de devenir. Qqch comme: « On n’est pas humain, on ne nait pas humain, on devient humain ». On est parce qu’on n’est, d’abord, pas. Le process nous cueille à la naissance, et nous fait passer dans le tambour de la machine. Ça brasse, ça décape, ça bouscule. Puis on en ressort un jour, posé.e au sol, calme, les yeux écarquillés d’étonnement. Avec un vent tout doux qui nous caresse et la vie qui nous sourit. Sans rien faire. Less is more. Less is tellement, tellement more.

C’est un process qui s’étend sur des années.

Le fait de devenir algue dans la mer. A osciller calmement sous la caresse de l’eau.  « Je ne suis jamais touchée comme ça, me dit-elle ». Oui, je sais. Et dans ce « je sais », nulle vantardise qui s’inviterait. Le simple constat de ce qui ne se fait jamais dans la vie courante: Toucher un corps sans rien en attendre. Alors « Juste pour te remercier encore de ce temps long que tu m’as offert avec tant de générosité. Ça m’a fait un bien fou de me sentir aimée et caressée avec tant de bienveillance, sans attente sexuelle, de la part d’un homme. Libérateur, renforçant et équilibrant. Merci du fond du cœur ». Et c’est tout.

Ne rien attendre, ne rien projeter. Offrir ce toucher comme une grâce, une danse légère… Comme cette algue dans la mer qui n’a prise sur rien, pas plus sur son mouvement que sur le ressac sous-marin qui la polit de plaisir à n’être que ça : Un mouvement dans le mouvement.

Attendre l'inattendu

« Attendre l’inattendu » chante Rodolphe Burger. Parce que le massage n’invite qu’à ça : A attendre l’inattendu, sans rien en attendre. Aucun paradoxe. Pas de libération, pas d’expérience forte. Rien que cette infime musique du non-mouvement. Cela m’arrive, dans certains massages, de ne plus bouger. Les yeux fermés, ma main posée sur un torse, une hanche… je suis à la fois ici et ailleurs. Dansant dans un plus grand que tout ce qui est ici. Contenu dans le creux de ma main qui se pose. Celle-ci ne bouge pas, je ne la regarde pas, pas plus que je ne regarde quoi ou qui que ce soit.

Mais sous cette paume, un corps/corde, qui vibre sous l’archet. Qui s’arque, qui expulse un souffle qui vient de loin. Je ne fais rien. Je ne cherche rien et ce qui se joue me dépasse, n’étant que passeur, passerelle, pont…. Sous ma main, des spasmes, des envolées, un chant prenant sa source de façon tellement lointaine qu’il est, ici, inaudible. Mais ses nappes mappent le paysage, voilent le soleil, masquent la lune. Pour, de cette obscurité, faire jaillir une lumière nouvelle.

J’aimerais trouver les mots pour décrire le massage tantrique quand il joue sur ces rives parfois hors de portée. Quand la symphonie qui se ciselle ici ne doit rien à Bach, Purcell ou Field. Mais doit tout à soi, seulement à soi, dans cet accord sensible avec soi-même. Dans cette petite musique de nuit, ou de jour, à écouter comme on appliquerait une crème de nuit avant de se coucher, avec lenteur et délectation. Quand la seule chose ici importante est d’ouvrir ce champ informationnel où l’on serait à la fois acteur/actrice et spectateur/spectatrice. De soi à soi. De soi en soi, pour n’être rien d’autre qu’avec soi. Pour se prendre dans les bras et se bercer. Tout doux. Tout doux…

Attendre l’inattendu. Sans rien faire…

Less is tellement more…

©-Bruno Deck, masseur tantrique, Matanoma • 2023 • ©Photos Hélène Toulet
Retour en haut