
TRILOGIE
La vie nous bouscule. Face aux évènements, aux chocs, un récit sur quelques jours. Pour une adaptation au changement. Pour accepter le temps.
Pour une adaptation au changement
UNE AILE
Je suis arrivé dans les Cévennes avec une Elle cassée. L’en-vol était difficile: j’étais en rase motte dans les herbes, et le paysage était comme le ciel aujourd’hui, en ces temps de tempêtes émotionnelles: terriblement bas.
En arrivant, ici, pour accompagner un ami pour son voyage, suite à cette longue vie passée sur terre, j’ai trouvé un faucon crécerelle, au bord de la route, avec une aile cassée.
Une aile pour une Elle.
C’était sur le Causse. Je passais en voiture, je ne l’ai pas vu en tant que tel, mais j’ai eu conscience d’un regard incroyablement perçant qui m’appelait. J’ai arrêté la voiture, j’ai regardé dans le rétro, la route était vide derrière moi. Je suis descendu, ai marché dans la direction de ce regard. Il était là, tranquille, un peu inquiet, me regardant. Je me suis assis sur la route pour ne pas l’effrayer. Et je l’ai regardé. Un long moment. Et je me suis mis à chantonner. Je ne voulais pas l’effrayer, je ne savais comment établir le contact, et il m’apparaissait que c’était un bon moyen. Un temps. Puis je me suis levé, et je me suis approché, doucement. Il a alors pris peur, et il s’est enfoncé dans les buissons denses derrière lui. Je l’ai vite perdu de vue.
Je les ai regardés, ces buissons, ils semblaient à la fois inextricables et franchissables. Et je me suis lancé : je l’ai suivi, à quatre pattes, évitant les ronces, rampant sous les branches. Des branches pour un ciel. Je l’ai retrouvé. Il avançait lentement et je me suis glissé dans son sillage. Au bout d’un moment, il s’est arrêté et je l’ai rejoint. Juste à la lisière des buissons. Derrière : une prairie.
Arrivé à sa hauteur, je l’ai pris délicatement, il n’a pas cherché à me pincer de son bec très, très pointu et crochu. Et je suis revenu avec lui à la voiture. Je l’ai installé sur mes genoux, et l’ai emmené à Aiguebonne pour la nuit. Avant de me coucher, je l’ai pris contre moi, et me suis mis à chanter, très doucement. Il me regardait fixement. Puis s’est laissé aller. Un long moment. Je chantais sans trop savoir pourquoi, j’ai eu le sentiment d’un moment de grâce partagé. Je ne sais si lui l’a pris comme ça.
Ce matin, je l’ai emmené dans un centre de soins qui va le soigner. Demain, il volera à nouveau.
Une amie m’a envoyé un texte sur la symbolique du faucon. Quand il apparaît, il apporte le message que l’on est prêt à reprendre sa vie en main, et que le moment est venu de s’engager dans une quête spirituelle de croissance personnelle… Il nous encourage à garder notre concentration dans la vie, à partir d’une perspective différente. Il symbolise une élévation dans une nouvelle connaissance de soi. Il nous parle de guides à l’écoute. Je vais prendre ce message comme tel. Disons que j’ai envie de l’adopter comme ça.
Parce que les messages sont nombreux, depuis une semaine. Qu’il m’importe de décrypter, de regarder. Simplement. Je vais considérer que ce faucon ne s’est pas trouvé par hasard sur mon chemin. Dans ce moment complexe où je vois des personnes proches et si précieuses pour moi s’éloigner, ce faucon, avec son aile cassée qui va être réparée, est important. Demain, il volera à nouveau. Une aile à réparer pour une Elle qui s’éloigne.
La vie reste quand même un beau mystère.
CHANGE DE CIEL, TU CHANGERAS D'ETOILE
Tout change, jusqu’au basculement possible. D’un jour à l’autre, tout peut basculer. Emotions à vif. Synchronicités en pagaille. Ça bascule et ça bouscule. Que regarder alors, et comment s’y confronter ?
En commençant par se poser, peut-être, et tenter de comprendre ce qui se passe. En éteignant son agitation, et en questionnant son calme. Pour se mettre à l’écoute. Parce que quand l’Univers envoie des signes, la moindre des politesses est de l’écouter, de le regarder, d’essayer de comprendre.
Et je ne suis pas sûr que politesse soit le bon terme.
Se calmer, donc, et écouter l’enseignement de Jung. Qui parle d’individuation, de la signification des rêves, qui parle des opportunités générées par certaines situations dans nos vies. Il parle des ombres, de l’acceptation des ombres, chez soi-même ou autrui. Il parle de cette mécanique dans laquelle nous sommes parfois englués, à répéter nos schémas parce que le mental ne sait nous renvoyer qu’à ce qu’il connait. Il parle de la gestion des émotions, de l’empathie, de l’ouverture, des symboles comme manifestations de l’énergie psychique. Des archétypes. Des mandalas. De la Lumière. C’est tout un mode d’emploi de nous-mêmes auquel il nous donne accès. Une boîte à outils king-size.
Alors ça vaut le coup de se mettre un casque sur les oreilles, et de partir se balader dans les chemins alentours en écoutant des podcasts… D’aller voir les chevaux dans le pré d’à côté pour voir si foin et eau sont suffisants. De se perdre dans les sous-bois en écoutant parler du conscient et de l’inconscient. Et d’être surpris de trouver des résonnances un peu partout autour de soi. Et en soi.
Je fais une expérience nouvelle en ce moment. Partageant mon temps entre Cévennes et Paris. A vrai dire, depuis peu de temps dans les Cévennes. Un hameau en fond de vallée, une rivière, des arbres et des Causses pour tout décor. Un soleil qui s’efface régulièrement derrière des rideaux denses de pluie… Et des routes comme autant de cordons ombilicaux.
Je questionne la Nature autour de moi, les oiseaux qui chantent, les feuilles qui tombent, annonçant l’Automne. Je suis loin de Paris, même si j’y reviens bientôt. Paris et ses sollicitations pavloviennes qui occupent le temps, obstruant parfois certains chemins de prise de conscience. Ici, rien de tel. Ici, le paysage est cellule de moine, qui invite à la réflexion. Rien n’est tranché, brutalement confrontant, tout est beau, invitant doucement les résistances et les schémas à fondre comme cette neige qu’il y aura peut-être bientôt ici.
L’Univers met à l’épreuve, dit Jung. Moi, je le sens ici complice, enveloppant. Même si, simultanément, effectivement confrontant. J’ai à apprendre ici pour vivre différemment là-bas. Et ce n’est pas un aspect de batteries à recharger…
Voir le Monde depuis une toute petite vallée un peu isolée est simplement totalement différent.
DEFROISSER LE TEMPS
Nous nous inscrivons souvent à contretemps. Contre temps : c’est contrer le temps, ne pas le laisser venir à soi… c’est un apprentissage. Difficile pour un citadin, saturé de contacts, de réseaux, de sollicitations. Qu’il cherche et alimente. Ici, dans la nature, j’apprends. J’écoute… Je regarde.
Dans ce hameau de fond de vallée, j’apprends à défroisser le temps. Je le laisse prendre la main… m’enseigner. C’est un apprentissage. Peut-être le plus important… écouter l’automne arriver, prendre le temps de laisser venir vers soi du bout du pré ce poulain, avec son œil brun et son œil bleu. Bowie réincarné, ai-je pensé avant de poser ma main, un temps, sur son front… puis j’ai laissé le silence s’installer… Lui me regardant, un long moment, avant de frémir, fléchir ses pattes arrière, et faire volte-face pour partir au galop.
Le temps, c’est cette rivière, qui par son débit, me parle des pluies de ces derniers jours, charriant en surface des feuilles brunes que lui déposent les forêts d’alentour. Cette rivière que je regarde, avant de me déshabiller pour m’y immerger… Un temps… ce dernier est rapide, la rivière est froide de l’hiver à venir, température extérieure de 13 degrés. Mais le temps de l’observation, après l’immersion, est plus lent, à écouter le chant de l’eau sur les rochers, à lever les yeux sur les arbres en face, à détailler les lichens sur les branches, ou ce rocher colonisé par la mousse. Là-bas.
La lenteur du temps est partout, qui s’invite dans le choix de cette poutre, pour reprendre les appuis d’une terrasse, abimés par l’humidité. Cette poutre, je l’ai cherchée dans le hameau, j’en cherchais une qui me parle, et non que je choisisse. Le temps pour la trouver a été long. La mise en place aussi. Il m’a fallu aussi trouver un poteau, un étai, une pierre adaptée, tailler des cales… Une fois l’opération finie, aucune rupture… Le temps a continué à s’écouler doucement… lentement. Invitant à la réflexion… à l’observation de ce qui pourrait ressembler à une forme de vacuité, mais qui n’en est pas une…
Prendre le temps pour écouter ce dernier, s’écouter, entendre… immergé dans le bain de lenteur qui est son tempo premier… Ou sont les résonances ? Où est l’appel à faire ou ne rien faire ? Le temps mutilé de la ville, vu d’ici, paraît d’abord lacéré, mal utilisé alors qu’il est ici plein, dense. D’une densité qui se pose, ancrée, communicante. Je regarde beaucoup les arbres, les plantes comme des repères. Je regarde les heures qui passent, qui s’inscrivent, qui ne se perdent pas dans le dédale d’un temps tout replié.
Ici, ce temps a une importance telle qu’il faut prendre garde à ne pas le froisser. Parce qu’il mérite plus d’attention que ça… Alors oui, défroisser le temps, pour qu’il nous diffuse son essence la plus centrée, la plus inscrite, plus en osmose.
Je prends le temps d’écouter le temps… de le déplier, de le lisser du plat de la main. Comme un drap, une toile, à colorer, à éclabousser de peinture. Peut-être…
Défroisser le temps et laisser venir.