Première soirée.
Les participant.e.s se connaissent pour la plupart.
Vigilance, toujours, sur l’instant, la lenteur, la connexion, l’écoute, la non-démonstration, la non-recherche de résultat. L’abandon de soi. Poser, poser le temps.
Pour le masseur ou la masseuse, laisser venir ce qui vient, en faisant attention à ses positions, à la permanence de contact. Une fois la main déposée, le contact ne s’interrompt plus jusqu’à la fin du massage. Pas de variation brusque de pression, si une main se soulève pour aller chercher le flacon d’huile, c’est à une allure de sénateur tranquille, tranquille. Rien ne presse, rien n’est plus urgent que cette infinie lenteur et déroulé tout calme qui est l’essence même de ce massage, sa structure, son squelette. Faire toujours attention à ce que les gestes et le contact soient les plus fluides possibles. Si un changement de position est nécessaire, la personne massée ne doit pas le percevoir. Connexion cœur à cœur, rien n’est plus important et essentiel dans cet espace que cette personne qui vous entrouvre la porte de sa vulnérabilité, qui vous confie son corps.
Pour la personne massée : Le voyage immobile et combien mouvant peut commencer. Le massage a une dimension placentaire, l’espace créé par le masseur ou la masseuse est contenant. il est tissé d’amour, d’attention, d’écoute, il est baigné d’osmose et de perméabilité. Il résonne dans chaque cellule et chaque empreinte mémorielle. Dans cette bulle, sécurisante, apaisante, le/la massée peut se déposer, se lover, se lâcher. Et le voyage, c’est bien lui ou elle qui le fait, qui hisse ou non ses propres voiles, qui part dans les limbes et l’exploration des criques de ce qui lui est révélé. Par cette porte qui se dessine, ce courant d’air qui arrive, cette émotion qui monte….
un calme absolu règne ici. On pourrait être dans une cathédrale qui ferait écho à celles de ces corps/cœurs qui prennent soin les uns des autres.
Le sacré est la clé sur laquelle se compose en temps réel la symphonie en cours. Les résonances sont délicates, les énergies claires et lumineuses, le stage commence bien avec ces belles personnes qui nous font confiance.
Et je suis honoré et heureux de les accompagner.
Paradoxe s’il en est. On ne décide pas activement de lâcher prise, on lâche prise…. Quand les conditions sont réunies. Et ces conditions trouvent leur origine dans les tréfonds de nos vies, origine revisitée a la lumière d’une situation nouvelle. Je suis toujours étonné de cet assemblage de peur et de prudence, qui semble inexpugnable, guidant au quotidien nos comportements et nos pensées. Qui nous semble la seule grille de lecture possible, jusqu’au jour où…
Tout peut alors basculer très vite, parce qu’un autre paradigme apparait. Un autre équilibre connecté. Et on lâche prise d’un coup. Sans coup férir. Sans décision particulière, simplement parce que l’angle est différent.
Formation massages. On force un peu ce destin. Non dans la violence et l’injonction qui n’ont pas leur place ici. Simplement en changeant le contexte de la connexion à l’autre. Dans l’accueil, le non jugement, la bienveillance. L’attention infinie à l’autre. Ce faisant, on gomme du paysage ce mur sur lequel notre esquif personnel drosse jour après jour, ouvrant la vue sur un au-delà, illuminant la vie sur cet au-delà. Et dans cet au-delà, un faisceau de possibles, une nouvelle perspective.
Un autre rapport au corps, quelque chose de nouveau, de frais à envisager. Un accès à sa liberté, à son envie de vivre, sa capacité d’écoute, d’accueil. Écouter, accueillir ce qui vient, ce qui s’exprime dans la subtilité. Et on sort des autoroutes du prêt a penser et à réagir pour s’engager sur d’autres chemins de traverse, ces chemins de tendresse, où les fleurs peuvent, au soleil, s’épanouir sans crainte.
… pour envisager d’aller vers l’autre, et l’exploration dans la subtilité du rapport à l’autre repose, révèle ce qu’on a souvent oublié. Le massage, dans son langage direct, dans la confiance, repose les bases d’un autre rapport à soi et à l’autre, exportable dans sa vie, dans son quotidien.
Aujourd’hui, donc, l’exploration du lâcher-prise, dans un environnement dédié, sécurisé. Un environnement de cocon, de bulle, de placenta. Et c’est parfois, souvent, une révolution. Douce, mais décisive. Permettant à demain d’advenir, de glisser un œil étonné.
Le stage se poursuit, doucement, joliment, le printemps arrive, les gestes se font plus posés, la tranquillité plus affirmée, les miracles ne sont jamais loin.
Le stage se poursuit… dans les vagues douces de la vie… dans les vagues claires de l’envie…
Il y a toujours un moment pour commencer. Pour toute choses. Le massage n’y échappe pas. En jeu ce soir, la construction de la narration. Quelle histoire, suffisamment ouverte, est initiée via le massage ? Dans quel espace-temps, quelle énergie ? Les paramètres sont vastes à appréhender, la confiance en son axe, en soi, nécessaire, l’attention à la personne que l’on masse maximale. Mais le détachement aussi, l’injonction que l’on se fait à réussir, la volonté de démontrer, toutes choses à déposer de côté dans cet espace.
Quelle histoire s’invente, dans la poésie de l’instant, entre masseur-masseuse et massé.e? Quelle intimité dans l’énergie, quel tissage commun de bulle à deux ? Il n’y a pas quelqu’un qui délivre un massage et l’autre qui reçoit, il y a élan commun vers quelque chose à découvrir, l’un.e accompagnant l’autre…. Découverte de soi, de la vie. Il y a partage, parcours commun dans un espace qui se construit en temps réel autour de la confiance et l’échange.
Cette histoire, personne ne la connait quand le massage débute. La seule certitude est qu’elle prendra place dans un contexte sécurisant, où le cadre a été posé, les limites définies, la confiance établie. Et que ces limites formalisent un champ d’expression qui, bien que contenu, est vaste et riche de surprises.
le fil conducteur est d’Ariane, il mène forcément quelque part. Ou pas. Parce que rien n’est linéaire ou prédéfini. L’histoire s’invente et se nourrit d’elle-même, de ce qui se met à jour, de ce qui se révèle, parfois très enfoui, loin.
Le/la masseur/masseuse pose l’espace de narration, par sa présence, son empathie, sa résonnance. Il crée le cocon, la bulle d’expression. Et une fois celle-ci créée, tout peut s’inventer, le/la massé.e aux commandes. Tout peut s’inviter, la joie, le plaisir d’être, ici, là, à rêver l’instant ou le construire, dans le silence ou la danse….
Je n’ai qu’a regarder ces personnes devant moi, pour savoir les histoires en cours d’élaboration riches d’émotions.
Je n’ai qu’a regarder les personnes devant moi, pour savoir ce massage riche de sens, et le groupe en formation infiniment sensible.
Mais je n’avais aucun doute…
Avant dernier jour. Point d’acmé. Ce point d’apesanteur du vol parabolique…. Là où tout, l’approche, lente, la construction du cadre, la confiance conduisent. Qui fait que les corps se laissent connecter dans leur vulnérabilité, que le mental, enfin, est au repos. État fragile s’il en est. Mais si lumineux. Que la peur, la crainte ont déserté, au profit de la curiosité et de l’accueil à être. Sourire sur les visages des un.e.s et des autres. Beaucoup de complicité dans les regards. Les gestes sont doux et tendres. Comme si le logiciel d’écoulement du temps et de gestion de la relation à l’autre était autre.
Nous avons évidemment pris du retard, la préparation du repas est ce soir plus contrainte par le temps. Mais il est hors de question d’accélérer quoi que ce soit dans ce déroulé d’apprentissage du massage. Tout est nouveau, a découvrir, le geste couplé à l’abandon du faire, la gestion du temps, l’écoute quasi moléculaire du corps, la découverte de la subtilité du ressenti. Son propre positionnement à questionner encore et encore, ses vieux schémas comportementaux a déconstruire.
Nous avons pris du retard, mais aucun temps n’est perdu…. Il est a l’image de la vie.
Quand le geste se fait contenant, le regard attentif yeux grands ouverts, quand la danse des corps se coordonne, et structure l’espace, quand la respiration se fait claire, et l’accordage des énergies limpide…
Quand la musique, spontanée, trouve d’elle-même ses accords et tempos, je n’interviens plus… Je regarde, souvent gagné par l’émotion, ces personnes qui découvrent les merveilles de ce massage tantrique que j’aime tant. Qui vivent ce massage, qui font leurs son cadre, qui, à leur tour, deviennent chambres d’écho, relais, prêt.e.s à faire vibrer autour d’elles et eux ces élytres à même de l’inscrire de façon stable dans le paysage.