Masser, accompagner, respirer.

MASSER

Stage de formation massage organisé récemment. Tout petit groupe. Idéal pour poser, oser, échanger, questionner, tester. Expliquer l’univers du massage tantrique et désamorcer tout de suite les présupposés, les idées toutes faites, les « on-dit », « on raconte que », les « j’ai entendu que ». Les « c’est compliqué ».

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Parler, en toute confiance. Expliquer la forme et le fond. Parler de soi, de son rapport à soi, explorer le pourquoi de cette volonté d’apprentissage. Connecter d’entrée de jeu l’exigence de sécurité, parler du cadre, passer du temps sur le consentement. Parler de la résonance obligatoire du massage avec sa vie propre, ce qui vient interagir, ce qui résonne, ce qui appelle. Reparler encore et encore du cadre comme pierre d’angle intangible.

Parler de l’accueil, de la bienveillance, parler de cet espace de confiance et d’amour qu’est celui du massage. Sentir, ressentir ce qu’est la lenteur, l’ultra-lenteur comme vecteur de résonance, d’écoute de soi, d’accès à l’autre. Comme masseur/masseuse et massé.e. Regarder ce que renvoie cette main qui se meut sans intention, sans attente, sans projection.

Écouter ce calme infini qui en découle, regarder ces portes initialement soigneusement closes qui s’entrouvrent, et toute cette lumière, derrière. Permettant à la vulnérabilité de s’inviter. Être conscient de l’immense responsabilité que confère la présence de cette personne sous ces mains, qui accorde sa confiance. Qui accepte de poser, d’exposer son corps sans pour autant le hérisser de barrières. Parce qu’elle sent que là, précisément, elle peut le faire. Parce que l’instant, et par-dessus tout, le cadre, l’y autorise. Regarder ce que génère en soi cette confiance accordée.

ACCOMPAGNER

Questionner ses positions de massage, ce qu’elles engendrent de douleurs ou d’apaisement, comment les gérer, les anticiper lors des déplacements, pour que la personne massée reste dans son voyage intérieur. Rester attentif à la permanence du contact. Observer le rapport à son corps, à la performance pavlovienne, à l’exigence. Regarder sa propre projection sur l’accueil potentiel de l’autre, ses craintes, son jugement, son désir de bien faire. Regarder ses saboteurs. Observer ses gestes, pour qu’à aucun moment ils ne soient vecteurs de questionnement ou d’inquiétude, qui déclencheraient un gyrophare d’alerte dans l’esprit de la personne. Regarder et encore observer.

Et questionner le cadre encore et encore. Sa solidité, son ancrage, où l’on est, soi, dans ce massage. Questionner son lâchez prise, sa non intentionnalité, observer son ego à l’œuvre qui nous murmure à l’oreille. Observer son désarroi quand on ne sait quoi faire, au début, parce qu’on repart dans le mental. Revenir encore et encore au corps qui sait, à la main qui sait. Connecter l’abstraction. Revenir à l’essentiel qui est ce contact main à corps, cœur à corps, cœur à cœur. Regarder les idées toutes faites qu’il faut combattre, accueillir les déconstructions en marche, les peurs qui s’envolent. Rester vigilant, tout le temps, être conscient que rien n’est anodin dans ce massage, dans cette connexion. Qu’il est œuvre particulière, de soi vers l’autre, de soi vers soi, de l’autre vers l’autre.

 

RESPIRER

Se mettre à l’écoute, de sa vie, de sa dynamique, de son corps. Se mettre à l’écoute de soi. Et lâcher prise, curseurs ancrés dans la sécurité, le cadre, pour regarder, étonné, admiratif, la danse de la vie à l’œuvre, l’intuition qui se met en place, le jeu qui s’invite, calme, enjoué, gai.

Quand l’intentionnalité s’évapore, les verrous se déverrouillent, l’âme s’envole et quand le corps danse.

Quand la spiritualité s’invite, que les émotions montent, les barrages se lézardent, quand cet immense questionnement intérieur se met à jour.

Quand la lumière s’invite en soi, et éclaire ce qui est usuellement, tout au fond, caché. Oser exprimer, oser ouvrir la fenêtre sur ce paysage tout lumineux, devant soi, et librement, gonfler ses poumons et respirer.

Masser. Accompagner. Respirer.

Qui l’on est nous questionne perpétuellement. On essaie de se mettre en phase avec ce qui nous entoure. De créer une sorte de plateforme commune qui nous inclurait dans le concert du monde…. Mais à ce faire, on se heurte à notre propre timidité, état qui nous invite à, ou nous impose de nous protéger. En nous excluant de ce contact potentiellement trop osmotique qui nous fait peur.

A défaut de notre intimité, on se retrouve donc dans une forme d’extimité. C’est à dire dans un vécu de cette intimité, travesti par une stratégie de mise en contact. Dans l’espace de cette extimité, on se crée de toutes pièces un personnage, un peu comme Goldorak, construit pour interagir dans un contexte donné.

Et on interagit.

Souvent en plein leurre de ce que nous sommes. S’imaginant, gourou, maitr.e.sse à penser, leader de je ne sais quoi, aligné.e sur ce que l’on professe, s’imaginant fort.e, puissant.e, s’imaginant tel.le que l’on aimerait être, allant jusqu’à s’illusionner totalement sur soi. On connait tou.te.s des personnes comme ça.

Mais on n’est que face au reflet déformé de ce qu’est l’autre, dans le bric à brac de sa construction. Et non de ce qu’iel est, tout au fond. Parce que dans ce fond, qu’y a-t-il d’autre que cette petite fille ou ce petit garçon apeuré qui tente, via la prise de commande de cet avatar, d’avoir prise sur sa propre vie ? En écrivant ça, je vois comme un défilé devant mes yeux. Et je ne m’exclue pas de ce défilé, à certaines époques de ma vie. Nombre d’hommes et de femmes croisé.e.s, partiellement aveuglé.e.s par la construction qu’ils ont mise en place, parce que, tout simplement, fragiles. N’ayant parfois jamais osé travailler sur eux-mêmes pour sortir de leurs propres illusions et accéder à leur sécurité de connexion.

Quand deux enfants se rencontrent et se cooptent dans leur extimité, qu’est-ce, sinon un dialogue de presque dupes, chacun légitimant l’autre dans son illusion ?

Alors que faire ?

Peut être simplement être conscient que cette personne en face de soi n’est pas totalement dans la compréhension que l’on projette sur elle. Qu’elle tourne un peu autour d’elle même, que notre propre trajet en orbite autour de nous-même n’a pas vocation à voir, en contrepartie, tout le monde dans son axe. Et qu’il importe d’identifier notre axe. Nous sommes tous et toutes des étoiles timides gravitant selon une orbite plus ou moins serrée autour de nous même. Et il suffirait peut-être d’oser désaxer légèrement celle-ci pour avoir l’opportunité de se rencontrer.

Une personne que j’ai récemment massée me fait ce retour : « Et tout s’est passé autrement, tout est allé à l’inverse de ces sensations ou projections de départ. Une fois dans le moment présent, une fois accueillie par toi, tout m’a paru simple. Comme si une autre langue se faisait entendre, une autre partie de moi, en provenance d’un autre espace. »

Le massage comme vecteur pour une autre écoute de soi. Le massage pour sortir de son extimité. Pour aller vers qui l’on est…

©-Bruno Deck, masseur tantrique, Matanoma • 2023 • ©Photos Hélène Toulet
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