L'article du mois

 

Septembre 2025

ARVO PÄRT, PRÊTS? PARTEZ...

 
La main du masseur tantrique, allez, soyons grandiloquent: c’est le pinceau qui se pose sur une toile vierge.
 
Dehors il fait beau. La toile est blanche. La bande son, on ne sait pas. Arvo Pärt est là, quelque part, mais Anouar Brahem aussi, ou Patrick O’Hearn, pour ne pas parler de Lisa Gerrard. Ou d’autres.
 
Le temps se pose, la respiration se fait calme.
Dès lors, n’importe quelle énergie peut s’inviter. Elle n’arrive pas sur commande, elle s’invite. Elle ne déboule pas tous feux allumés dans un mental qui séquence et trie, elle s’écoule dans le corps, le pas léger, cueillant de ci de là un fruit suspendu. Ou pas. Empruntant des méandres, glissant sur un lac, prenant parfois un raccourci dans les herbes. Elle s’inscrit dans une logique fluide qui lui est propre.
 
Et ce mouvement n’est jamais le même: le corps est si mouvant. Emotionnellement mouvant. Emouvant autant que connecté. Il recèle en lui toute la potentialité de création de l’Humanité, même si la vie l’a conduit, conditionné, à se spécialiser.. travailleur de force, alpiniste, nez de parfumerie, magnétiseur… masseur…
 
Mais potentiellement, il est tout. Simultanément. Danseur de tango sensible autant que musicien de génie, cellules connectées aux enroulements du son. Le corps peut se laisser glisser là ou là, si on prend le temps de l’écouter. De l’accueillir. Dans toute sa richesse.
 
Le massage peut ainsi prendre toutes les formes. Souvent belles dès lors qu’elle s’inscrivent dans l’émerveillement et la sacralité. L’émerveillement de la joie, de l’exultation, de la découverte, de l’abandon.. mais dans la sacralité, le sacré, parce que ce Plus Grand Que Nous qui nous contient et nous accompagne nous a confié ce corps et ses multiples potentialités comme un trésor.
 
Dès lors, le massage se passe dans l’immobilité ou le mouvement, selon ce qui s’invite. Il est avant tout porte ouverte sur autre chose. Il est cette porte usuellement cadenassée dans nos vies, qui s’entrouvre sur le soleil, le vent, le possible, l’écoute et la découverte de soi…
 
Alors oui, l’épure d’Arvo Pärt peut parfois s’inviter, comme la chaleur de Job Seda, le sacré de Zbigniew Preisner, ou la puissance de Lisa Gerrard, voire la précision ultime de Nobuyuki Tsujii… Oui, le massage peut être rire et gravité entremêlés, il peut être langueur caribéenne, ou méditation tranquille, sur une pente exposée, là, à un lever du soleil. Il peut être ça et ça, parce que l’énergie n’est pas dicible, paramétrable. Et encore moins transposable en équation. Elle est vecteur de vie, d’envie, de calme, de mouvement enlevé, elle est légère ou dense, danse sous la pluie ou d’envol dans la canopée. Elle est aussi multiple que riche. Aussi riche que belle à connecter. Elle seule commande le massage. Elle en est à la fois l’écriture et la portée contenante. Elle est avant tout la langue d’expression de ce Sacré, en nous, qui nous apparaît parfois Graal.
 
Mais le Graal n’est qu’illusion.
 
Alors que le Sacré, non.

 

JUILLET 2025

LAISSER L’INEXPLORE PARLER

Je lis dans le magazine « inexploré » :  « Pour les peuples animistes, rien n’est séparé. Tout est en lien : La pierre, l’arbre, le vent, la pensée. Le sacré ne réside pas dans un ailleurs lointain, mais dans la qualité des relations que l’on entretient avec ce qui est là. Habiter le monde, c’est entrer en dialogue avec lui. Ecouter les signes, honorer les formes, accueillir les mystères. « 

Cet état de mystère, c’est d’abord notre état propre, nous même vis-à-vis de nous-même. Nous ne nous connaissons pas. Nous sommes des étrangers pour nous-mêmes, tentant tout au long de notre vie de nouer un dialogue constructif avec notre corps. Difficile de nous mettre en contact avec ce qui est autour de nous, les mystères de la vie, quand nous-mêmes sommes, à nos propres yeux, une énigme.

Nous connecter à nous, nous permettrait pourtant de nous connecter à la Vie. Mais à une époque où apparait le concept d’enfant d’intérieur, qui préfère dialoguer avec le monde via l’interface de son ordinateur, plutôt que de sortir dans la Nature (voire la Ville, voire tout ce qui n’est pas le cocon de sa chambre), cette connexion à nous même est de plus en plus hasardeuse. Les Shirin Yaku, du nom de ces méditations avec la Forêt, en vogue au Japon, ne sont pas encore, ou peu, arrivés chez nous.

Notre corps, c’est le Monde majoritairement inconnu des temps premiers, un peu moins inconnu au fur et à mesure de l’écoulement des siècles, à la mesure de l’exploration de territoires de plus en plus grands. Même si le principe de cette connaissance est un grand mot, puisque loin de les écouter, nous avons plaqué sur ces territoires une intelligence formatée selon nos paramètres pour les mettre en coupe. Avec notre corps, nous faisons pareil : nous l’abordons comme ces explorateurs du XVIIème, débarquant en Afrique. Avec appréhension, idées toutes faites, toutes défenses érigées… mais rarement dans l’écoute simple et attentive.

En fait, ce corps qui est notre véhicule terrestre, c’est juste un gros point d’interrogation. Oh, il ne manque pas de moyens pour partir, non à sa conquête, mais à sa rencontre. Les psys de tous poils sont là, pour servir de marche pied, de passerelle, de traducteurs, d’accoucheurs. Les psys et les autres, tant sont nombreux ceux qui font office de nous accompagner vers nous-même. Par la réflexion, l’hypnose, les approches psychédéliques, l’expression corporelle. Nous ne manquons pas d’idées pour lancer des ponts entre nous-même et nous-même. Souvent par le mental. Tant ce mystérieux véhicule terrestre de notre âme incarnée nous pose problème. Mais est-ce suffisant ?

En tant que masseur, je reçois nombre de personnes qui sont totalement déconnectées de leur corps. Celui-ci est comme un véhicule en location longue durée, dans lequel il leur est difficile de s’investir. Pas ou peu d’écoute d’eux-mêmes, pas de conscientisation de leur image… la cartographie mentale de leur corps n’a que peu de choses à voir avec l’image que ce dernier renvoie. Pas d’accès à leur ressentis… d’ailleurs, quels ressentis ?  L’écoute de ses ressentis suppose que le corps a été approché, et que ses différentes parties ont fait l’objet d’un contact, d’une attention, d’une révélation à la conscience. Une zone qui n’est jamais touchée ne peut être éveillée à sa sensibilité, et ne renverra aucun message. Quant à la dimension sacrée….   La relation sacrée au corps demande déjà un certain effort de compréhension de la portée de ce mot : sacré.

Le dialogue avec son corps est un voyage au long cours. Qui ne s’arrête jamais, passant à travers tempêtes et zones de calme ; Mais cette cohabitation s’inscrit elle un jour dans l’apaisement ? Elle a été tellement conditionnée, malaxée, brassée par tout un tas d’affects, de réactions, de chocs, de détachements, d’abandons, d’élans divers, amoureux, amicaux… Et le corps lui-même change tellement, que c’est parfois difficile d’enfiler le fil dans le chas de l’aiguille de la machine à coudre, pour relancer une couture solide et bien droite, si une déchirure apparait dans le patchwork en éternelle recomposition de notre corps et de notre relation à ce dernier.

Je suis parti du mot ‘inexploré’, du titre de ce magazine auquel je viens (enfin) de m’abonner. J’ai une excuse : je ne le connaissais pas, avant. Corps inexploré. Nous sommes tous et toutes investis de ce magnifique véhicule, mais sans carnet d’entretien, ni fiche technique. Nous ne nous connaissons littéralement pas. Et nous passons notre vie à questionner la réalité de ce corps et notre rapport à ce dernier.

Comment nouer un dialogue avec qqch qui change tout le temps, et une langue d’expression elle-même en constante réinvention ?

Pour autant, le challenge est là : il faut apprendre à cohabiter avec lui, tout en acceptant sa part de mystère, d’inexploré. Comment faire ? Peut-être en invitant l’intellect à s’effacer. En privilégiant une approche terre à terre. Et j’emploie l’expression ’terre à terre’ dans sa dimension la plus noble, à l’inverse du sens qu’on lui prête d’habitude : Terre à terre, comme dimension terre de vie à terre de vie. Terre nourricière. Dimension animiste. Se poser, mediter, observer, examiner ce qu’il y a autour, sentir le vent sur sa peau, jusqu’à ce petit pois d’Andersen placé sous notre couche pour évaluer notre sensibilité, goûter la chaleur du soleil ou la réverbération d’une pierre. Ce n’est pas forcément une ascèse que d’écouter, mais c’est un apprentissage, à commencer du détachement, d’une ouverture à plus grand pour avoir accès à soi. S’inscrire dans une dimension plus grande.

L’été est déjà là. Il n’est pas que mouvement, il n’est pas que voyage, il n’est pas qu’agitation. Il est aussi inscrit dans le calme, la méditation et l’observation. Je vous invite, dans la chaleur languide ce cet été, à vous déposer, à venir à la rencontre de cet autre qui est vous. Pourquoi pas par le massage. L’inexploré pourrait alors, peut-être, glisser vers autre chose. Parce que votre corps, enfin par vous-même écouté, pourrait prendre (reprendre) l’initiative de vous parler.

Et on le sait bien, quand on prend ce temps d’écouter quelqu’un, il a en général plein de de choses à dire.

 

JUIN 2025

LA LIBERTE D ETRE SOI

Vaste sujet…. Quand je parle d’accès à leur liberté, via le massage tantrique, aux personnes qui viennent me voir, les yeux s’écarquillent.  Avec parfois un petit rire, gêné. Oooh, la liberté….

On en a peint, de tous temps, des tableaux, sur ce thème, écrit des livres, fait des conférences. Le sujet est passé à la moulinette de toutes les stratégies, il est instrumentalisé, brandi. Chanté. Il est décrypté, disséqué, voire présenté comme une évidence qui serait intégrée par tout le monde. Universelle. Elle est sur tous les drapeaux qui se battent pour un monde meilleur. Elle est partout….

Pour autant, à quel moment l’a-t-on expérimentée soi-même ? Non par des lectures, des approches mentales, mais dans notre corps ? Jamais. Ou quasi… Parce que ce dernier, on l’a toujours approché, en grande partie, via les autres. Par leurs regards, leurs compliments ou critiques, leurs prises de position, leurs gestes plus ou moins stéréotypés. Par les journaux pour superposer à l’image que nous renvoie la glace celle d’une photo sur papier glacé, en imaginant que c’est nous. Par le recours à la salle de sport pour ressembler à un idéal. Par l’inscription dans un amour ou une relation de circonstance, connectée à seul but de nous renvoyer une image de nous… Quand pose-t-on le décor, le mouvement ? Quand arrête-t-on de courir pour se questionner sur notre propre liberté à être dans notre corps? Quand fait-on attention, dans l’émotion et le ressenti, à soi ? Rien qu’à soi ?

Jamais. Ou quasi. Un clou chasse l’autre, une idée se superpose à une autre, nous n’arrêtons jamais. Peut-être, justement, pour ne pas nous questionner sur le fond. Sur nous. Le temps est difficile à poser, le silence est brouhaha, et le mouvement est tellement plus simple que l’immobilisme.

Toute la question est donc de comment aller vers soi ? Dans la paix, l’amour de soi, l’acceptation pleine et entière de qui l’on est. Dans le lien aussi…

Et dans quelle liberté s’inscrire ? Liberté d’être ou liberté d’agir ? Qu’importe… D’abord en considérant que ce n’est pas un défi inatteignable, ce n’est pas un Annapurna auquel se confronter, car elle est juste là, devant nous, attendant qu’on la connecte. Mais pas à la façon d’un tout-ou-rien exclusif, d’un renversement de paradigme, d’un abandon définitif de ce qui nous a construit. A la façon d’un essai, à transformer ou non.

Connecter une liberté dans le respect de soi, pour commencer. Celle qui prend en compte notre histoire, nos triggers, nos retenues, celle qui fait attention. Parce que nous ne sommes jamais un terrain vierge sur lequel la Liberté, à commencer par la nôtre, peut planter son drapeau de façon inconditionnelle. Nous ne pouvons pas abandonner en rase campagne, du jour au lendemain, ce qui nous a structuré. Même si la liberté est ce petit ruisseau où l’on peut s’abreuver, jour après jour,  pour, peu à peu, changer notre Monde.

Cette liberté, celle dans laquelle j’invite tel ou telle à s’inscrire par le massage, est d’abord cette ouverture que l’on s’accorde pour ressentir. Les choses, les sensations, les mémoires, le plaisir, la douceur, le lien à soi, en remplaçant les lectures externes de soi, par des sensations internes. Dans l’ouverture, en se posant simplement. En laissant de côté les (auto)-jugements, les pensées limitantes.  Et surtout, cette pensée qui voudrait qu’il faut absolument faire qqch. Donc, première étape, la laisser de côté, en osant ne rien faire, en osant ne pas se mettre en situation de renvoyer un message, ne pas s’obliger à répondre à quoi ou qui que ce soit. En ne suivant rien d’autre que ses propres ressentis, dans le silence de l’instant. Le voyage vers soi peut alors commencer, en se laissant glisser dans ce geste qui accompagne, la respiration qui scande et connecte, dans l’écoute de ses cellules, de cette main qui se déplace tellement, tellement lentement à la surface de sa peau. Mouvement quasi immobile, mais intense.

C’est une invitation à une forme rare de massage que j’expose ici,  que je n’hésite pas à qualifier d’assez unique. Je ne sais pas comment la qualifier autrement. C’est pour moi une forme de graal du massage. Le mouvement, le temps, tout s’arrête, parce que l’espace bascule dans la méditation pure. Mais je ne peux le pratiquer qu’avec des personnes qui viennent me voir sans attente particulière, dans l’écoute de ce qu’elles sont. Et ce n’est pas facile. C’est même très rare.  La vie nous a conditionné à nous inscrire dans le faire, et débrancher cette prise n’est pas simple. Pour autant, cette forme de massage n’est pas exclusive des autres. Elle en est simplement une des branches.

Mais elle est rare, parce qu’elle n’appelle rien. Le mouvement est tellement lent qu’il ne se perçoit qu’au déplacement des crêtes des empreintes digitales sur la peau.  Quasi au niveau cellulaire. Tellement lent, que mes yeux s’ouvrant, ma main me semble exactement au même endroit que 10mn, un quart d’heure auparavant. Tellement lent, que la connexion au corps de la personne massée devient verticale, passant à travers les couches de derme, connectant ce qui est enfoui au plus profond d’elle-même. L’horizontalité disparait. Tellement lent qu’il ne se passe rien en apparence, mais seulement en apparence. Parce que tout le corps du ou de la massée est parcouru de micromouvements. Comme ayant attendu ce moment précis, où, se considérant totalement à son écoute, il peut enfin s’exprimer. Dans une subtilité qu’il ne connecte que rarement.

Ce massage est intrinsèquement méditatif. Je suis, comme la personne devant moi, totalement dans un état de conscience modifiée, et la fin du massage se passe usuellement dans un silence absolu, où chacun cherche ses repères, prenant du temps pour revenir à la réalité. A reconnecter ce qui est autour de lui. A chuchoter au lieu de parler.

Quand j’évoque la liberté, c’est celle-ci que je veux illustrer par ces propos. A laquelle je vous invite. La liberté que l’on peut s’accorder, parfois, de n’absolument rien faire. De se glisser simplement dans sa combe, en connexion, et de se confier à plus grand que soi.

Et cette liberté n’est pas hors de portée. Elle est juste là, à connecter. Elle est même souvent là, elle est simplement en attente de.

Je vous invite à m’appeler pour en discuter. En passant par la page contact de ce site. Et peut-être qu’au terme de cet échange, vous laisserez-vous tenter par ce qui est vraiment une aventure. Mais une aventure à contrario d’un caisson d’isolation sensorielle, à expérimenter et vivre dans le lien.

En sus, qq textes écrits sur FB, ce mois-ci, au fil de l’eau…

Texte mis sur FB le 29/06/25
(dans le titre ci-dessus, lien vers toutes les PRIDE organisées en France)
 
Pride 2025 - Matanoma
NOUS SOMMES PIERRES QUI DANSENT
 
Je ne me lasse pas des Pride et celle de 2025 ne fait pas exception à la règle. Dans l’autorisation que chacun et chacune se donne à être lui ou elle-même. Vêtu (ou partiellement dévêtu) selon un code propre à chacun ou chacune, la liberté d’être comme clé de fa ou de sol de sa propre musique, jouée sur une partition qui embrasse la vie, et explose les usages formatés dans laquelle nous sommes usuellement rangés. Avec nos étiquettes au revers du col pour indiquer notre catégorie de tiroir.
 
A être dans cette foule qui danse, crie, se déhanche au son des sonos juchées sur les chars, je me dis qu’on devrait envoyer ici tous ces dirigeants qui macèrent dans l’angle tellement aigu de leur fermeture à la diversité. Parce que ce qui se joue ici est en résonnance avec la Vie. A fréquenter les Pride, Beethoven aurait été peut-être inspiré plus joyeusement pour son hymne à la joie. Et les politiques de tous poils plus enclins à encenser la vie qu’à la détruire.
 
Nous sommes tous et toutes des pierres qui dansent. Comme ces pierres du Machu Picchu qui possèdent cette caractéristique d’être assemblées sans mortier les unes aux autres, selon des géométries très diverses, et qui dansent littéralement l’une sur l’autre quand un séisme secoue la région. Avant de retomber dans leur exact emplacement. La pérennité dans le mouvement, et non le silence figé de pierres jointoyées.
 
Nous naissons pierres libres, et notre constitution est perméable. A la vie, l’accueil de la vie. Mais celle-ci se charge de nous formater, et nous nous retrouvons rapidement tout figés par la morale, le jugement et l’auto-jugement. Nous nous éloignons de nos sensations, de notre écoute, de nos ressentis. Les différentes couches de mortier sociétal scellent peu à peu notre mouvement, et nous nous retrouvons momies à tenter d’esquisser un geste de danse, contraint.e.s par nos bandelettes. En oubliant notre qualité première de pierres dansantes. Comment retrouver notre mouvement ? Peut-être en recontactant notre danse intérieure, afin de l’inscrire dans l’espace…
 
Nous sommes fondamentalement des pierres qui dansent.
 
La Pride, hier, rappelle cette liberté essentielle. De nous écouter, d’oser vivre tel et telle que l’on est. De danser la rue, de remplir celle-ci de cris de joie, là où elle est usuellement lacérée de bruits de moteurs ou de sirènes de pompier.
 
Paris m’a semblé infiniment joyeux hier. Il y avait du soleil, des hommes et des femmes de tous âges et de toutes origines dans la rue, qui chantaient et incarnaient leur joie d’être ce qu’ils et elles sont, dans une fraternité/sororité que devraient leur envier tous ceux qui, bousiers désespérés, poussent, jour après jour, leur boulets de canons mortifères sur cette planète.
 
La Vie mérite tellement d’être vécue…
 
 

NOTRE NUDITE, TRANQUILLE FIL CONDUCTEUR DE NOTRE EVOLUTION?

Texte mis sur FB le 18/06/2025
 
Matanoma - illustration n°57 article
 
Posés sur notre plage naturiste favorite, ce matin, très tôt. Nous sommes seuls, il y a juste ce parasol, là-bas, tout au bout de la plage. Un homme dessous.
 
On s’installe, on se prépare pour aller nager. Aujourd’hui , on part en biais par rapport à la rive, passés les petits rouleaux qui accueillent celles et ceux qui rentrent dans l’eau. En biais, pour éviter des bancs d’algues déplacés par un récent coup de vent. Nous remontons la côte là où la plage vient mourir sur le relief. Masque, tuba et palmes, nous nageons un assez long moment, puis revenons à la plage. Où nous nous installons livre en main. Pour ce qui me concerne, le dernier livre de Wendy Delorme, « le chant de la rivière ». Magnifique écriture, poétique et ciselée. Pour elle, Marc Vella, « l’éloge de la fausse note ». Livre aussi magnifique que dense. Elle m’en lit des passages de temps à autres.
 
Parfois, je baisse mon livre et regarde les alentours.
 
Au départ, je l’ai dit, pas grand monde. Puis peu à peu, des personnes seules, ou des couples, arrivent. De tous âges. Jeunes comme moins jeunes. Vieux comme moins vieux. Qui se déshabillent et s’installent sous des parasols, qui exposent au soleil leur corps modelés, travaillés par les années.
 
Tout est très calme. Certains se lèvent et vont nager, goûter l’eau, tenter une baignade. Près du bord, ils plongent la tête avec masque et tuba, à la recherche de poissons, se redressent. Le brassage de l’eau la rend quasi opaque. On ne voit pas grand-chose.
 
Ils bougent, ils avancent, se retiennent, lèvent un bras pour trouver un équilibre quand ils rentrent dans l’eau. Resserrent les bras sur leur torse parce qu’elle est froide, ou du moins, semble froide après une exposition au soleil.
 
Les muscles apparaissent, parfois, dans la tonicité d’un corps. Effilés sur un bras, ou roulant sur une épaule. Et parfois, non, noyés qu’ils sont dans une rondeur enveloppante. Certains dos se raidissent avant de s’immerger, projetant haut les épaules, puis se relâchent d’un coup au moment où les genoux fléchissent. Le jeu des corps et de l’eau s’inscrit dans le frisson de la joie.
 
Au long de la plage, maintenant, des couples qui marchent main dans la main, penchés parfois, scrutant le sol à la recherche d’oeils de Sainte Lucie. Je regarde leurs rapprochements, la façon dont ils se tiennent la main, je regarde la façon dont ils sont attentifs, à eux-même, entre eux, la façon dont leur corps s’adapte: les bassins basculant d’une jambe sur l’autre, la courbure des lombaires se creusant, une soudaine fermeture, parfois, dans les cervicales. Je regarde ce déhanché léger quand le pied se pose sur une pierre, une algue, ou tout simplement quelque chose qui surprend. Parce que la plante des pieds est nue, et qu’elle devient réceptrice.
 
Je regarde ces mouvements de hanche parfois plus appuyés que nécessaire, pour le simple plaisir d’occuper un espace nouveau. La nudité invite à la liberté de soi. A l’exposition de soi, simplement. Invite au jeu, à la danse. Je regarde ces dos plus ou moins structurés, plus ou moins droits, évasés vers le ciel, ou refermés sur une intériorité qu’on imagine fragile. Ces peaux parfois détendues, élastiques, ou plissées de mille rides dessinées par l’âge, que le soleil révèle par effet de contraste. Ces fesses, tantôt pleines et rebondies, roulant librement d’un pas sur l’autre. Ou effacées, parce que leur plénitude est derrière elles, parce qu’elles sont moins assumées. Parce que ce n’est peut-être plus aussi important…
 
Je regarde le pivot plus ou moins rigide du sacrum de tel ou telle, autour duquel le buste travaille son équilibre. Ces épaules rentrées, tendues en arrière, ou lâches d’un abandon tranquille. Je regarde ces personnes jeunes ou plus âgées, qui toutes portent une histoire sur elles, leur timidité, leur sagesse, leur détachement. Leur tranquillité, aussi. Je regarde ces hommes qui bombent le torse à la lumière, au ciel, ou qui ont abandonné toute prétention à être ce qu’ils ne sont pas, ou plus, épaules tombantes, avec ce ventre proéminent dont la ceinture abdominale ne cherche plus à rehausser ce qui chute.
 
Ces femmes qui marchent tranquillement, bien dans un corps qui a abandonné toute prétention à figurer en première page de quoi que ce soit. Pour s’inscrire dans autre chose. Leur ressentir peut-être.
 
Parce que c’est bien ça qui se joue ici. L’accès à nos ressentis. Qui ouvre l’espace, qui réveille le corps, qui réinstaure un dialogue entre soi et tout ce qui nous entoure. Notre corps qui communique par sa peau, ses pores, son mouvement libre et ouvert, sa langueur, sa tendresse, son ouverture à la vie, l’accueil de ce qui est, là, le soleil, l’eau fraîche et salée, le sable qui colle, jusqu’à ces micro-scarabées qui urtiquent à tout va.
 
Je regarde ces gestes de tendresse qui fleurissent, parfois, ces mains qui s’agrippent quand un pied ne trouve pas son appui, ces bras qui se frôlent, ces petits sauts de carpe quand la vague est plus tonique et monte haut sur la plage. Le contact est bienfaisant, libérateur. Je regarde ces corps sans fioritures, sans apprêts particuliers, dans leur simple et naturelle nudité. Et qu’ils ou elles soient jeunes ou très agé.e.s, que leurs corps soient secs comme des ceps, ou ronds comme des ballons de plage, je les trouve tous beaux, magnifiés par ce soleil de début de saison, cette lumière d’arrière-plage, au bord de cette eau bleue, dans cette jouissance très simple de l’exposition de soi aux éléments.
 
Je regarde ces états de nature, dans lesquels plus rien n’existe d’une quelconque hiérarchie sociale, d’un conditionnement à être ce qu’on n’est pas, de la pression du regard dans la rue, de cette jauge permanente dans laquelle on s’inscrit. Ici, rien de tout ça. Ici, des personnes qui viennent goûter le simple plaisir d’être dans la brise, dans l’enveloppement de l’eau, grain de sable sur le sable, à lire, échanger, parler, sans rien avoir à démontrer. Rien qu’à se laisser caresser par le vent. Rien qu’à vivre l’instant. Rien qu’à regarder la mer, le ciel, ce milan, là-haut, qui ravaude son territoire. A être, en toute simplicité, sans se cacher. A vivre ce qu’ils ou elles ont à vivre, dans cette suspension de l’instant. Ici, l’âge importe peu, les codes esthétiques sont brouillés, rebattus comme ces cartes que l’on mélange pour changer les possibles.
 
Ici, s’invente un autre possible.
 
Et s’invite aussi, à regarder ces personnes qui déambulent calmement dans le sable ou lisent un livre à l’ombre d’un parasol, seuls, ou main dans la main avec leur compagne ou compagnon, une infinie tendresse.
 
Parce que la vulnérabilité de tous et toutes est ici palpable, l’unicité de l’instant, et cette fragilité acceptée, revendiquée, assumée, qui remet les hommes et les femmes que nous sommes à leur vraie place, une place de partage et de complémentarité avec la nature, la mer, le soleil, la vie, les éléments.
 
Alors, une petite question, en repartant : Les plages sont-elles, peuvent-elles, être le lieu de notre réinvention ? Et notre nudité, le fil conducteur de notre évolution d’hommes et de femmes?

©-Bruno Deck-Aimé, masseur tantrique, Matanoma • 2023 •  Textes et photos

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