Quelques pas de danse
Il n’y a pas deux iris identiques.
S’autoriser à aller vers soi… Pas deux empreintes digitales, deux pavillons d’oreilles semblables. Pas deux organes sexuels pareils. Deux histoires, deux familles, deux lignées qui se ressemblent. Nos corps et nos énergies sont différents, uniques.
Et il n’y a pas deux massages tantriques qui se déroulent de la même façon…
Le massage s’inscrit dans l’instant. Il n’est pas le résultat d’une intention, d’un process. Il s’inscrit, se love, se déroule dans l’énergie de cet instant. Et cette énergie n’est pas portée par le/la masseur-euse ou le/la massé.e, mais bien par quelque chose qui dépasse l’un.e et l’autre. Qui englobe l’un.e et l’autre. Qui résonne. Entre cet un.e et cet/cette autre, mais également avec tout ce que l’un.e et l’autre ont traversé et vécu dans cette vie. Et avant cette vie. Le/la massé.e vient avec tout son background, tout ce qui le ou la constitue. Le/la masseur-euse également. Le champ est large, les combinaisons multiples. Les chemins d’accès à soi en sont définitivement infinis. Oui, s’autoriser à aller vers soi…
Elle, et son dialogue avec elle-même…
Cette femme vient avec un questionnement sur son corps, sur sa vie. Elle n’est jamais touchée, ou si peu. Son corps est un mystère, un inconnu avec lequel elle compose au quotidien. Plus dans l’interprétation mentale que dans le corps. Corps avec lequel elle dialogue peu. Dont elle a une représentation très distanciée. Elle ne se connaît pas, n’a pas de ressenti particulier. Son corps est un mystère.
Une heure à parler autour d’un thé avant le massage n’a permis que de tracer une esquisse de ce relationnel avec elle-même. Au moment de passer dans la salle de massage, lui viennent en flashs tout un tas d’éléments : sa vulnérabilité à exposer via sa nudité (qui n’est en aucun cas un impératif durant le massage, NDLR) ; sa mobilisation active de sa capacité à faire confiance ; l’acceptation de visite de ses zones d’inconfort, le questionnement de sa capacité à aller vers son corps dans la non intention ; la mise au ban ponctuelle de ce cadre sociétal dans lequel elle évolue quotidiennement ; l’invitation à s’écouter, à prendre soin d’elle.
Elle qui ne s’écoute jamais. Qui a construit sa vie dans le travail. La marche à franchir est importante et j’en ai une conscience aigüe. Si elle est ici, c’est sur la recommandation d’une amie que j’ai précédemment massée. Cela l’aide à franchir le pas. Ce premier massage s’inscrit dans la méditation, un calme absolu, la connexion à une énergie qui vient de loin.
Nous sommes accompagnés
Je me sens accompagné et nul doute qu’elle l’est également. Qu’elle est prise par la main pour s’autoriser simplement à être là. On a toutes et tous nos guides, bienveillants, et ils sont là. Les miens comme les siens. Durant ce massage qui s’apparente à un voyage lent, avec un mouvement puissant, elle vient doucement au contact d’elle-même. Comme une embarcation initialement ballotée par les vagues devant la côte, qui stabilise son mouvement avant d’accoster doucement. Certains touchers ne lui évoquent rien, d’autres la bouleversent. Elle bouge peu, ses yeux sont clos ou mi-clos, elle est attentive. Non dans le mental, mais dans le corps. Attentive à mon toucher, aux alternances d’effleurements ou de gestes plus appuyés, attentive au contact, à l’énergie, attentive à l’invitation, parfois, au mouvement. Et cette invitation, elle l’accepte ou non. Selon l’instant. Accepte de partir, de se mouvoir, de répondre. Ou de se détendre.
Brusquement.
Comme une corde qui se relâche après avoir été tellement tendue. Une main sous son ventre, l’autre sur son sacrum la font vibrer. Mains en conques, qui accueillent et se répondent. Une main ailleurs la laisse de glace. En apparence. En questionnement. Cartographie en cours d’élaboration. Elle est en découverte d’elle-même. Je sens sous mes doigts, mes paumes, sa peau qui frémit, son ventre qui se réveille, une contracture musculaire. Infime. Je vois son dos qui se redresse, tous muscles mobilisés, pour mieux retomber, tension accouchée. Ses doigts témoignent d’une tension intérieure passagère. Qu’elle soit de questionnement ou du plaisir à s’écouter. Je vois une main qui cherche la mienne, pour l’étreindre quelques instants. Pour accompagner une émotion, un ressenti, quelque chose qui la saisit. Puis cette main retombe et le voyage lent, brassé par les étoiles, reprend.
Pourquoi viser un éveil particulier, ou un état de transcendance ?
À la fin de ce premier massage, on sera loin d’une bannière d’arrivée d’étape franchie, on sera en chemin. Simplement sur ce chemin qu’elle a eu l’intuition, le courage, dans lequel elle a eu l’envie, simplement, de se projeter. Comme un pèlerin qui marcherait à la recherche de lui-même. Elle est loin d’un éveil de femme sauvage, d’une féminité transcendable par la grâce d’un seul massage. De quelque chose qui, à ce stade, la dépasse. Elle est simplement, en tout humilité, sur un chemin. Son chemin du cœur, de l’identité, de la connexion, de l’émotion, de sa féminité… Et au terme de ce premier massage, ces quelques pas arrachés à la brume sont déjà une belle victoire. Toujours et encore s’autoriser à aller vers soi…
Autre personne, autre énergie
Cette autre qui vient me voir quelques jours plus tard a une énergie autre. Déjà dans le mouvement le massage à peine commencé. Sourire aux lèvres, yeux fermés, tournés vers elle-même. Ce mouvement ne s’arrêtera pas une seconde au long des deux heures et demi de massage. (Chaque massage possède sa propre dynamique, sa propre temporalité. Et il m’est illusoire d’imaginer le brider, le stopper parce que l’heure défile. Certaines graines d’arbres sont conçues pour tomber à l’aplomb des branches, d’autres sont calibrées pour voyager. Parfois loin. Et cette dynamique ne m’appartient pas. Ce massage dure donc deux heures et demi.) Mouvement comme celui d’une skieuse qui, tout en courbes, dévale une pente dans une poudreuse vierge de toute trace. Chaloupé, enlevé, vivant. Enivrant, peut-être. Voilier toutes voiles dehors que sa skippeuse pilote au creux des vagues, coque appuyée sur la masse ascendante de l’eau qui se cabre.
Chorégraphie lente qui jamais ne s’emballe parce qu’elle sent que la vitesse peut être source de décrochage. Et tant elle que moi sommes conscient de ce mouvement qui la cueille et l’accompagne. Qui la fait se redresser, bouger, venir me chercher, mes mains, mes avant-bras, dans un élan plein. Je bouge également, cale mes mouvements sur les siens, l’accompagne dans cet élan de vie qui traverse son corps. Je suis danseur à ses côtés, en appui, pour lui permettre ses sauts de biche, de chat, de basque, ses demi-pliés, pas glissés et autres échappées. Se joue dans ce jeu de danse son autorisation à dire, exprimer, à être. Se joue la connexion à sa vulnérabilité dans la confiance, l’expérience de la non-intentionnalité… la libération d’une énergie sexuelle libérée d’autant plus pleinement qu’elle est sans finalité, sans attente, sans réponse à apporter. Parce que d’abord énergie d’expansion et de vie.
Massage et voyage
Ce voyage semble ne nécessiter aucun carburant, aucune relance. Il est mouvement perpétuel, avec quelques infléchissements, selon les carrefours, les perspectives traversées. Plus ou moins intenses, quelques plaines survolées où le regard porte loin, avant de s’engager dans des forêts denses et affutées, où le ressenti se fait aigu. Le massage est un voyage où les valises peuvent être laissées de côté, ponctuellement, ou allégées parce que les peurs et autres précautions de vie qu’elles contiennent ne sont plus d’actualité. Voyage d’approche de la vie, d’accroche à la vie. Et cette femme dansant sur ce futon, en connexion avec toutes les parties de son corps mouvant, vibre en symbiose avec l’Univers.
Un homme dans ses impros…
Cet homme qui vient me voir est également un poète du mouvement et le massage avec lui ressemble aussi à une chorégraphie sous-tendue par une logique qui lui est propre, inscrite dans la grâce. Nulle complexité avec son corps, son sexe, la représentation qu’il a de lui-même. Le dialogue qu’il entretient avec son corps. Ce dialogue semble fluide, et l’énergie qui le traverse est belle. Il vient chercher ici une liberté qu’il ne s’autorise peut-être pas au quotidien. Dans son cadre familial. Et cette liberté de l’instant est belle, nourrissante. A accompagner avec tout le centrage dont je me sais capable. Les yin et yang de l’un et l’autre s’entrelacent, pour se répondre en ricochets, en échos. Sa voix est claire, la voie à emprunter riche de sens et d’énergie. Le cadre posé préalablement est solide, intangible, sécurisant. Il forme un cadre de scène où toutes les improvisations semblent possibles.
Et ces impros sont, à cet instant, étonnantes. Encore. Toujours. S’autoriser à aller vers soi…
Venus
Cette jeune fille qui vient aussi me voir, a un corps de sportive tendu dans l’effort qu’elle déploie quotidiennement pour vivre. Après un long temps passé à parler doucement, elle trouvera dans cet espace du massage, tout en accueil, en bienveillance, en écoute attentive, la conque où elle peut enfin, déposer un secret très enfoui, une douleur qui remonte loin. De celles que les hommes parfois, souvent, infligent. Et cette conque devient dans l’instant comme de Venus, où elle est accueillie, dans laquelle elle peut envisager se redresser et laisser le soleil la cueillir, tout doucement, pour lui dire simplement : Bienvenue.
Et cette bienvenue murmurée est le plus beau mot de cette semaine, celui de son ouverture à elle-même, de son accueil d’elle-même, de l’émergence de sa lumière.
Vénus, demain, dansera….
Magnifique et tellement vrai, une ôde, un poême à ce massage, où les rimes s’égrennent sur la musique des mains sur un corps, et comme tu le dis, comme une danse, de deux êtres, un qui donne, un qui accueille. Les énergies se fondent dans la confiance, amenant a un voyage intérieur, celui de la connaissance de soi.
Merci Bruno