Tantra et danse
Le tantra est affaire de danse
Tantra: Quid ?
Parler du tantra est éminemment casse-gu…. ! C’est déjà une discipline, science, pratique particulièrement complexe à définir pour qui a lu et relu ses classiques, et trainé sur tous les bancs de toutes les écoles. Ce qui n’est d’ailleurs pas mon cas. Mais la difficulté est aussi d’où l’on en parle ? De quel endroit, et vers qui, également. Ce qui est le cas d’à-peu-près tout : on s’exprime depuis le lit de notre culture ou sensibilité personnelle. Et celui qui écoute l’accueille de la même façon.
L’objectivité dans l’expression est un leurre. Ma subjectivité à moi s’est donc appuyée sur le livre d’André Padoux «comprendre le tantrisme» pour faire ce petit écrit. Et sur ma propre sensibilité.
Tantra et Veda, donc. Pour commencer.
Le tantra apparait il y a plus d’un millénaire et demi en Inde. Les tantras sont des textes, de toutes sortes, des écritures sacrées, des compilations, des commentaires. Des ouvrages techniques, des textes dont la rédaction ne s’est jamais arrêtée depuis globalement le 5 ou 6-ème siècle. Ils posent des règles et des théories, constituant un corpus perpétuellement mouvant.
Le Tantra s’entrelace de façon continue avec le Veda (colonne vertébrale de la religion hindoue). Même si c’est de façon souvent complexe à distinguer : Qu’est ce qui est tantrique et qu’est ce qui ne l’est pas du tout ? L’un comme l’autre étant basé sur un principe de révélation.
Et il y a une révélation védique et une révélation tantrique. L’une est auto-révélée (Veda), l’autre est révélée par des divinités, à commencer par Shiva (Tantra). Le fait d’être révélée par un être divin fait descendre sa parole jusqu’au monde des humains. Et ce lien direct mène ces derniers plus vite vers le salut que l’enseignement védique.
Mais qu’est-ce qui différencie les deux ? La tradition tantrique est définie comme plus transgressive. Elle rejette l’orthodoxie et la pureté brahmanique (inspirée par le Veda). Car c’est par la plongée dans l’interdit (son interdit) que le tantrika se transcende. A noter que cet interdit est plus un interdit social qu’autre chose. Le domaine tantrique des pratiques et doctrines vécues apparait ainsi comme celui de la recherche personnelle initiatique du salut. Recherche distincte de la vie sociale, où l’on observe strictement les règles védiques : schématiquement, la pratique tantrique intervient dans un domaine plus personnel que la pratique védique, plus sociale et répondant aux impératifs de caste.
Mais si les deux ne s’opposent pas, les traditions et pratiques sont totalement entrelacées.
Domaine social VS domaine personnel : Vivre, c’est s’exister.
André Padoux dit : On pourrait également envisager le domaine tantrique comme étant, pour l’adepte, son domaine personnel, privé, secret, par opposition au domaine védique, ouvert et visible.
L’attitude tantrique est ainsi décrite comme au service de la délivrance des humains, enchaînés à ce monde. On y parle de libération de vie. Et le corps y a une importance énorme, travaillé par le yoga, déifié, transcendé.
Ce qui caractérise l’univers tantrique, ce sont des notions, une idéologie, des pratiques et comportements. Avec une grande ritualisation, une mise en efficacité sur le plan vécu, corporel et psychique. C’est par la participation, la plongée dans l’interdit, que le tantrika se transcende, qu’il obtient le salut en ce monde. La vision tantrique est celle d’un univers créé, soutenu. Totalement pénétré par l’énergie divine, la Shakti, présente en l’être humain qui peut la capter et l’utiliser.
Vivre en tantrika, c’est « s’exister », exister à soi, dans la transcendance divine. Vivre dans un univers pénétré par l’Energie divine un ensemble énergétique ou le corps est immergé. Corps et cosmos ne se séparent pas.
Pourquoi le tantra a-t-il en Occident cette accroche sexuelle, qui le fait regarder d’un œil particulier par qui ne le connait pas ?
L’Inde a toujours fait une place importante au sexe, dans la place de l’être humain dans l’univers, pour accéder au divin. Mais la dimension sexuelle n’avait dans la pratique et la réalité religieuse qu’une place limitée, réservée à quelques initiés.
C’est la jouissance de la diversité du monde qui est au cœur de la vision tantrique indienne : La mise en pratique des usages rituels tournant autour du sexe, recherchait la visée transcendentale et non la jouissance.
Tantra, sexe et androgynéité.
La femme détient la puissance que l’homme peut puiser en elle. Et l’acte sexuel était considéré comme une activité normale. Activité qu’on peut aussi choisir d’utiliser pour s’affranchir des limites de la vie sur terre. Transcendance.
Dans les traditions tantriques, la divinité suprême est considérée comme polarisée en masculin et féminin. Le masculin était en principe dominant, mais le féminin était bien le pôle de la puissance. Des représentations bisexuées de certaines divinités, en donnent parfois une forme visible. La divinité, conçue métaphoriquement comme Conscience suprême, a en son unité deux aspects : la lumière, qui est aspect masculin. Et la prise de conscience d’elle-même, aspect de vie et de puissance, qui est féminin. L’union des deux pôles de la divinité, Shiva et Shakti représentée comme union de nature sexuelle.
André Padoux fait cependant remarquer que, par principe, dans le monde hindou, l’acteur rituel est toujours un homme, et que, l’exaltation de la femme, en Inde, a toujours été le fait des hommes. Ce qui a une résonnance particulière en nos temps de considérations de plus en plus inclusives.
Sur le fond, le tantra était d’abord un tout avec la vision de l’homme au centre du cosmos, des commentaires théologiques, le panthéon des divinités indiennes. Le tout lié et travaillé par des rituels.
La Kundalini est présentée en l’être humain comme une puissance féminin. C’est la Shakti qui monte dans le corps pour rejoindre Shiva au sommet de la tête pour s’unir à lui : union du masculin et du féminin qui rétablit l’androgynéité divine originelle. L’union sexuelle ritualisée amenant à la vitalité et au dépassement des limites.
L’Occident malade de son sexe.
Cet aspect de nous-même était (est ?) très malade, le rapport au corps compliqué, le sexe (pratiques et organes) culpabilisé, depuis toujours. Il suffit de regarder notre culture de façon un peu distanciée, au hasard : les bouches non représentées dans la peinture jusqu’au XV siècle, car lieu de la luxure, du corps, du démon. Le toucher prohibé jusque dans les années 50 car anti pédagogique pour créer des hommes puissants. L’objetisation des femmes. Le débat perpétuel autour de la représentation dans la peinture du « Noli me tangere ». Marie-Madeleine tentant de toucher le Christ ressuscité qui s’esquive. Ce toucher sur lequel le film à fleur de Peau d’Arte (https://www.arte.tv/fr/videos/100841-000-A/a-fleur-de-peau/) met bien l’accent : Il est proscrit, le sexe est contraint dans son expression, la société y veille et la religion n’y est pas pour rien.
Le rapport au corps est donc culturellement complexe.
Le tantra se bat contre ça en replaçant le corps au centre. Dans sa vérité. Ou plutôt dans la vérité de chacun.
Sur fond de rapport difficile au corps, le tantra a de plus été introduit dans un contexte global hédoniste et mercantile. Padoux le dénonce d’ailleurs, en expliquant que schématiquement, en Occident, tout le monde bricole un peu sur le tantra, en élaborant une doctrine à sa sauce. Répondant à ses aspirations propres. Et il suffit de regarder n’importe quel site : Même si la recherche de sérénité reste parfois évoquée, certains points sont perpétuellement mis en exergue : Le dépassement sexuel, la plénitude sexuelle, la réalisation sexuelle.
Et le tout rentre finalement au chausse pied dans l’appellation « néo-tantra ». Qui est également une façon pratique de dire que c’est (peut-être) autre chose que le tantra. Mais que c’est du tantra quand même. A-t-on tort quand cette position est prise ?
Mais est-on si loin du tantra des origines ?
Rajneeesh, plus connu sous le nom d’Osho, a écrit nombre de livres, qu’on retrouvera pour certains sur ce site. Apparu aux US dans les années 60, il a associé, avec d’autres, le tantrisme à la double voie de bonheur spirituel et de la prospérité matérielle. Chassé des états Unis où il s’est illustré par nombre d’excès, il revient en Inde, parce que personne ne veut de lui, fonde un nouveau mouvement et revient en Europe sous le nom d’Osho. Osho a beaucoup écrit, et j’y reviendrai dans d’autres articles.
Il aborde le tantra comme débarrassé de sa myéline religieuse. Il parle du tantra comme d’une science, du corps comme un temple. De votre corps comme lieu de votre expérience. Il parle d’audace et de courage à tenter l’expérience.
Il appelle les occidentaux au tantra pas le biais de la sexualité qui est un de leurs plans le plus malade. Espace dans lequel il y a impérativement besoin de remettre du sacré.
Il appelle les occidentaux au tantra pas le biais de la sexualité qui est un de leurs plans le plus malade. Espace dans lequel il y a impérativement besoin de remettre du sacré.
Osho dit : Quelle que soit l’origine et la religion, chrétienne, musulmane, hindoue on retrouve le même homme, la même violence avidité, la même luxure. Pour un rapport plus sain à soi-même et au monde : choisissez une technique qui vous convienne, pratiquez-la avec votre énergie la plus totale, et vous ne serez plus le même.
La proposition du tantrisme : le mental n’est pas autre chose qu’une matière subtile, on peut la transformer. Le monde que l’on voit, on le voit parce qu’on a un mental particulier. Quand le mental est différent, la perception du monde est différente. Le mental est un mécanisme de désir.
(illustration: Wikipédia)
Énergie et sensibilité.
Il dit aussi : Acceptez-vous tels que vous êtes. Acceptez chaque énergie avec sensibilité, conscience, avec amour et compréhension. Vivez avec elles. Ne vous en méfiez pas et votre corps deviendra un temple. Allez dans votre corps pour prendre de la distance avec le mental. Le corps est l’univers qui nous est le plus proche. La respiration un pont entre nous, l’espace et le temps. L’inscription doit se faire dans le présent.
Le tantra tel que pratiqué en Occident tourne autour de la méditation, du mouvement, de la danse, du contact. Ecole de l’aller vers le corps, où l’on apprend à aller vers celui-ci et vers l’autre. Le corps dans le tantra est considéré de façon non triviale ou détournée, non instrumentalisée, mais avec respect et bienveillance. Il n’est pas besoin d’aller très loin, il suffit d’allumer sa télé, d’aller au kiosque à journaux (si, ça existe encore). Il suffit de surfer sur Internet pour s’apercevoir que ce rapport au corps en occident est systématiquement codifié, canalisé, mis au service de, maltraité, objetisé.
Rien ne nous incite jamais à nous regarder de façon décontextualisée, comme nous sommes, tel que nous sommes. Tout s’inscrit dans un cadre mercantile visant à monétiser ce corps. Par les habits, les crèmes, le sport, la nourriture…. A résumer brutalement : nous ne sommes qu’espaces publicitaires au service de, espaces de projections avec toutes les dérives que l’on peut observer partout.
Transgression et sérénité
Par rapport à ça, comme depuis son apparition, le tantra reste transgressif, encore et toujours : il nous incite à nous voir autrement, nous regarder autrement, nous vivre autrement. En sortant des injonctions. En ceci, il reste dans les stages un espace d’exploration de sa sphère privée, espace débarrassé de tout cet exotisme sexuel qu’on lui prête (il n’y a pas de pratiques sexuelles ni dans un stage de tantra, ni dans un massage tantrique). A pratiquer aujourd’hui le tantra en France, même si, à mon sens, il reste un grand pas à faire vers un tantra plus inclusif, on résonne avec cet espace millénaire de prise de recul, d’interrogation, de débranchement des conditionnements de tous ordres qui nous accompagnent sur notre parcours.
Mais la réalité de chaque rite ou pratique n’est jamais figée ou indépendante de son temps. Du contexte d’expression dans lequel elle prend place. Padoux appelle bricolage certaines pratiques du tantra ici : bien sûr, la pratique tantrique occidentale est loin de la pratique tantrique hindoue. Mais ne répond-elle pas, ce faisant, à une demande actuelle, contemporaine, sociétale d’un rapport au corps plus objectif, plus bienveillant ? A bien regarder, les mouvements me too, Nous Toutes, et autres… A regarder les dérives incessantes de la Société quant à la place des femmes, l’omnipotence des hommes : les violences sexistes ne peuvent-elles trouver dans le tantra une solution vers un apaisement ? Un aller vers la tranquillité du corps débarrassée de son cortège d’injonctions ?
Et la danse, alors ?
La danse est mouvement. Dans ce mouvement, se libérer d’un mode de pensée unique initié par une Société nous imposant notre propre regard sur nous même, par le tantra et le massage tantrique, me semble clairement la décision la moins aberrante que l’on puisse prendre. La transgression à cette norme de pensée unique est clairement salutaire.
Le massage tantrique est une porte d’accès à soi. Et j’invite absolument tout le monde à le tester.
Dans un seul but : Aller vers sa danse propre.